meet along the way
Le chemin de Compostelle, ce n'est pas seulement de beaux paysages, de beaux chemins, de belles forêts et d'immenses prairies.
C'est aussi toutes les personnes que l'on est amené à rencontrer, avec qui l'on partage, ou pas, quelques moments, brefs ou moins brefs.
Ce sont aussi des gestes, des sourires, des regards (bons et moins bons).
C'est sortir de son quotidien, tissé lui aussi de relations : univers bien connu, codifié, ou la nouveauté, l'aventure de la rencontre, disparait sensiblement au fur et à mesure qu'avancent les années.
Marcheurs et pèlerins le soir dans les gites, patrons de bistrots de villages, conducteurs des voitures que l'on arrête pour s'assurer de la bonne route, agriculteurs sur leurs tracteurs, gens des villages travaillant dans leurs jardins, clients des commerces ou l'on fait ses courses : tous nouveaux.
Personnes nouvelles et , et peut-être surtout, pour le marcheur, statut nouveau.
pour soi : qui est-on, sac au dos, en plus sous la pluie, à marcher ainsi alors que passent les voitures qui font en 20 minutes ce que vous mettrez 4 ou 5 heures à parcourir ? pourquoi je fais floc cloc dans mes chaussures quand je pourrais être bien au chaud chez moi ? pourquoi ai-je dormi cette nuit dans une grange ? vraiment ......
pour les autres : qui est cette originale qui se traine sur les chemins et les petites routes sac au dos, dégoulinante de pluie, (plus facile à comprendre sous le beau soleil) ..... SDF ? routarde ? pelerin ? marcheur ? elle cherche quoi ? elle veut quoi ? elle court derrière quoi ?
ces journées de marche m'ont fait toucher cela du doigt .... on devient bien vite un "étranger", quelqu'un que l'on ne comprend pas bien, quelqu'un d'un peu (ou beaucoup) bizarre. Que l'on accueille, avec qui l'on parle, le plus souvent (belle leçon) mais aussi dont on se méfie, et même que l'on méprise.
je vais déjà parler de cela : la peur de l'autre, le mépris. J'en parle car je n'ai lu ceci dans aucun témoignage. Oubli volontaire ? volonté de "passer l'éponge" sur une expérience désagréable ? jamais rien de vécu de tel ? Je m'interroge.
la peur, la méfiance : on m'a a plusieurs reprises refuser de m'ouvrir une porte alors que je désirais demander ma route. Observée de l'intérieur (je l'ai vu), la porte ou la fenêtre m'est restée fermée.
le mépris : passant à la caisse dans un petit supermarché (à La Chatre), je suis prise à partie par un membre du personnel : j'ai laissé tomber des papiers par terre, c'est dégoutant. Avec ces aimables paroles, un regard qui m'a glacée.
Ces papiers à terre, je n'avais rien à voir avec, mais puisque j'étais là, avec mon sac, mes grosses chaussures, vaguement (ou même pas du tout) "catégorisable", sinon comme "vagabonde", donc, la dégoutante, c'était moi.
J'ai pu dire ce que je pensais de son attitude à cette personne, mais je me suis dit : comment peut-on vivre, lorsqu'on est réellement, et pas de manière occasionnelle et volontaire comme les marcheurs et pèlerins sur le chemin, comment donc peut-on vivre avec ces regards de mépris, avec ses a-prioris négatifs sur sa personne ? J'ai pensé très fort à toutes les personnes sans toit que nous croisons dans les villes, sans les voir parfois, ou en évitant leurs regards le plus souvent. Infernal.
là, l'humiliation, j'en ai senti passer le vent ....... le vent mauvais. le cœur se serre, je vous l'assure.
Mais et heureusement mais, la plupart des personnes rencontrées nous "situent" tout de suite, habitués qu'ils sont de ces bizarres tortues sur leurs chemins, dans leur villages, tapant à leur porte ou à leur carreaux en quête d'un renseignement, en quête d'eau aussi.
"Compostelle" ? .... "oui"....
- c'est le commerçant qui, en plus de vos courses, vous glisse une barre chocolatée ou un fruit dans le sac. "pour des forces pour la route" .... merci !
- c'est le patron de bistro qui, au su de votre destination vous double le petit café ou le chocolat commandé..... merci !
- c'est le particulier qui vous remplit votre bouteille d'eau et vous en donne une autre, glacée, "celle là, pour la fraîcheur, elle sort du frigo"..... merci !
- c'est le gars qui vous a chambré amicalement dans le café ("mais vous êtes tous des barjots"), et qui, en partant, dit à la patronne "un autre café pour la dame"
on est tellement peu habitués à ces petits gestes, hors de notre cercle restreint d'amis, que c'en est très émouvant.
trop sympa !
c'est aussi une belle discussion avec une dame dans son jardin, (ha les tomates, elles vont surement pourrir avec toute cette eau, quel temps de chien !).
c'est l'agriculteur qui prend le temps d'arrêter son tracteur pour savoir d'où vous venez, ou vous allez, "toute seule ?" ect ect....
tout au long de la route, durant ces 24 jours, je ferais de ces jolies rencontres. Un ancien syndicaliste agricole, un ancien des JAC, qui se souviennent de leurs années d'activisme militant, de la solidarité, de la joie de leur jeunesse. Un vieux vieux prêtre qui m'offrira "asile" en me disant : "vous me tiendrez compagnie" et qui ne me laissera même pas faire la vaisselle. Le couple de ch'tis chez qui je me réchaufferais une heure en buvant le café. et d'autres ....
des conversations-cadeaux.
Je ne peux pas toutes les nommer, ces personnes rencontrées, mais qu'elles soient tous remerciées.
expérience riche et étrange : en vacances, en Afrique, j'ai aussi beaucoup rencontré de personnes, tissé des liens sympa... mais pour la majorité c'était un donnant-donnant relevant du champ bien connu du tourisme. (certains liens ont changé et sont devenus des amitiés)
Mais là, dans cette marche, il y a , du moins je m'interroge, une certaine dissymétrie. Marcheur, on est demandeur : de chaleur, d'eau, voir d'hébergement .... on a rien à offrir en contre-partie.
On doit "lâcher-prise" pour employer un terme à la mode, et s'en remettre à .... la bonne volonté d'autrui, sa gentillesse, sa générosité : nous n'avons à offrir que des mercis.
Quand on a pour habitude, quand on a été élevés dans cette idée qu'on ne doit dépendre de personne, c'est tout à fait déconcertant.
c'est tout cela "Le Camino"
et c'est pour cela que je désire reprendre cette marche là ou je l'ai laissée.
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